Je suis musicien: j’ai écrit de la musique contemporaine, je joue
de la flûte et je construis moi-même des flûtes en terre cuite
pour mon plaisir et celui des enfants.. Cela vaut peut-être une certaine
affinité avec les rythmes et les timbres.
Les timbres, ce serait le sens du jeu avec la couleur. Comment les couleurs s’aiment
ou se détestent, se rapprochent, conversent, se bagarrent, se fuient.
Les rythmes, ce sont des jeux entre des formes précises, qui se répondent
dans l’espace de la toile comme les motifs musicaux se répondent
dans le temps d’une œuvre. Pour cela, il faut un certain espace,
une certaine profondeur : et pourtant le rendu de la 3éme dimension ne
m’intéresse pas : tout doit se jouer dans la platitude de la toile,
(c’est la leçon de Cézanne, Matisse, Klee). Si je travaille
autour de l’idée de plans, ce sont des profondeurs, des espaces,
des dimensions autant extérieures qu’intérieures.
Je pratique aussi beaucoup la cuisine. Est-ce que cela se sent dans mon travail
en peinture ?
L’œuvre de Kandinski n’est pas celle qui me touche le plus
: pourtant je crois que je travaille les mêmes questions.
Des carrés, des triangles, des cercles.
Des fonds jouant avec des figures.
Des motifs qui se répètent, mais jamais à l’identique.
Des formes qui ne sont pas si abstraites qu’archétypales.
Des motifs très cernés, très circonscrits qui cherchent
une certaine harmonie dynamique à la fois entre eux et avec le « fond ».
Tout cela doit poser des questions comme : qu’est-ce que exister ; est-ce
qu’un poisson existe sans la mer ? est-ce que l’univers existe
s’il n’y a pas un « moi » qui le regarde, à la
fois hors de lui et fait de lui ? Ce sont des questions essentielles que se
posent les philosophes, les scientifiques ou les sages véridiques et
que, je crois, les peintres posent à leur tour, de la meilleure façon
quand ils les posent avec leur langage propre (des formes et des couleurs assemblées)
et non quand ils essaient de singer les philosophes.
La limite : comment l’établir et jouer avec elle : c’est
un thème qui est apparu dans ce travail de gravure : sortir de la plaque
; et pourtant ne pas l’éluder ; en sortir pour mieux flirter avec
elle et la faire exister. Alors, des formes s’échappent, puis
essaient de jouer avec le blanc ; dans une étape suivante (c’est-à-dire
dans une autre série de peintures, une autre période de mon travail),
ces plans seront mangés par un fond d’où les formes s’esquiveront à leur
tour vers un ailleurs virginal sans cesse rattrapé et coloré ?
Chaque œuvre est unique : Mais elle contient des restes, traces non effacées
de l’œuvre précédente, travaillée sur la même
plaque (de carton dans ce travail-ci). Cela me plait, poétiquement et,
techniquement me permet de jouer avec des plans, des densités de couleurs
différentes, comme des épaisseurs de temps qui s’enchevêtrent
mais sans nostalgie.
Matisse parlait de l’éternel conflit du dessin et de la couleur
: pour moi, ça se joue aussi à travers le conflit du blanc et
des couleurs : poser des formes dans un fond blanc reste pour moi une tentation
grande, comme un désir de pureté, de netteté, de force
limpide. Mais, en même temps s’impose la nécessité de
confronter les formes à un fond coloré : les faire descendre
dans la matière.
La technique de mon travail repose sur celles, détournées, abusées, de la gravure : au lieu d’une plaque de cuivre, je travaille sur une plaque de carton. Comme les chasseurs de papillons, j’essaie de capter les accidents et je les collectionne.
J’aime la liberté dans la contrainte : la contrainte resserre le vocabulaire mais dans le même temps cerne précisément le champ de travail, d’invention : elle assigne à résidence : la liberté pure est finalement une vieille avaricieuse
J’aimerai bien que mon travail propose un regard « lavé »,
calme, en paix, bienveillant mais sans naïveté, profond de par
une certaine qualité de légèreté.
Par ailleurs, je travaille avec la transparence : papiers très fins dont la transparence permet de jouer avec la lumière à travers. J’ai construits des boites posées verticalement avec au fond des toiles peintes qui se voient que lorsqu’elles sont traversées par une lumière venant de derrière. Je les ai appelées des « meneaux ». Certaines étaient trouées et jouaient ainsi avec ce qui se voyait de l’extérieur : Je suis très attiré par le travail avec les lieux, la nature, l’œuvre et son environnement. En ce moment, je travaille avec de grandes bandes de papier népalais que je voudrais « installer » dans l’espace.
Jean-François de Fays